Christian Cazenave rencontre la photographie lors d'un séjour en Afrique et découvre en elle une aire de jeu et un air de liberté, un mode de relation au monde. Un an plus tard, premières photos de reportage noir et blanc sous le signe de ses lectures et de photographes comme Tony Ray-Jones, Charles Harbutt, Diane Arbus, ou Louis Faurer, autre “guetteur mélancolique”. L'analogie d'un champ d'éteules avec un champ de bataille l'incite à persévérer. S’ensuit trois ans de période féconde à courir les rues et battre la campagne : un boîtier 24x36 l'accompagne partout et lui permet de photographier au gré des humeurs et des rencontres.

Continue à étoffer la série initiale Maux & Merveilles et, dès lors, vit entouré d’images à lire et de lectures à imager. En parallèle, il complète sa formation autodidacte auprès de professionnels. Au début des années 90, il répond à des commandes institutionnelles et devient photographe de collectivité territoriale. A ce titre, il collabore régulièrement avec la presse régionale. Dans ses travaux personnels, il éprouve dorénavant la nécessité de partir de projets prédéfinis. Ainsi prennent forme les deux suites autobiographiques Voyage au Port et Estate, avec lesquelles il aborde le moyen format et la couleur. La présence humaine s'y fait rare, il se sent proche de Walker Evans, Magdi Senadji, Saul Leiter et Luigi Ghirri, pour rester dans le domaine de la photographie.

Désormais cette façon de procéder ne le quittera plus. Elle lui permet d’affiner un point de vue sur un sujet, la pratique de la photographie étant pour lui une manière de récit aventureux, une rêverie active. Autant que possible, s’exerce à infuser dans ses images humour et poésie, sans perdre de vue son intérêt à documenter le réel. Il utilise aussi bien le 24x36 et le moyen format, la couleur comme le noir et blanc. Il intervient modérément en post-production, et plutôt de manière intuitive. Par contre, le choix des images d'un sujet et leur séquençage requièrent toute son attention.

Ainsi, en alliant commentaire social et récit poétique, il tente à sa manière de développer une imagerie personnelle qui soit à la fois portrait et paysage, image de soi et reflet du monde. Il rassemble alors les images de sa première époque dans un livre, Maux & Merveilles, et complète des séquences comme Menu Fouillis et Tête d’Affiches. Professionnellement en retrait depuis 2016, il peut enfin se livrer à des travaux de plus longue haleine. Ainsi naîtront des sujets tels que Périphéries, Une Ville sous Influence et Pollen d’Epaves.

Après des années de pratique, il lui semble que si un photographe désire acquérir une écriture qui lui soit propre, il lui faut dépasser une photographie convenue procédant par mimétisme, se créer une culture générale, s’intéresser à d’autres sujets que la photographie, utiliser celle-ci pour rendre compte de ses intérêts et prendre position. Il recueillera plus de satisfaction en optant ainsi pour un point de vue personnel qu'en imitant ce qui se fait et qui plaît au plus grand nombre. Il n'est pas sûr d'avoir toujours été ce photographe !

Il n'est pas sûr non plus d'avoir saisi ce paradoxe : la photographie, espace de médiation entre soi et le monde, permet de vivre une expérience sensorielle du monde, et en même temps, de s'en protéger au moyen de cet objet de transition qu'est l'appareil-photo. Néanmoins, en dépit d’une discrétion à toute épreuve qui fait de lui un photographe sous-exposé*, il a pu assembler ses images en une forme d'expériences et éditer de la sorte des essais visuels, séries thématiques dont certaines ont fait l’objet de livres et d’expositions :

Maux & Merveilles, 1975-1995
L'Ombre du Vent (Maux & Merveilles II)
Nous Autres (Maux & Merveilles III)
Menu Fouillis (campagne première), 1992-2014
Voyage au Port, 1994-1996
Estate (un éternel été), 1995-1996
Têtes d’Affiches, 2007-2015
Vivre Comme Nous, 2007-2017
Périphéries (périple en grande banlieue), 2016-2019
Seul Figure le Soleil (Périphéries II), 2016-2019
Une Ville sous Influence (sur les pas d’Emmanuel Bove), 2016-2021
Exacts Contemporains, 2020
Pollen d'Épaves (sur un texte d'Yves Martin), 2020-2022
La Nuit Arborifère, 2022 
No Land Art, 2022                                                                                                                                                                                                                                               

* La photographie m'a offert au centuple ce que je ne saurais lui rendre en l'exposant si peu !
   La signature du regard  est une affaire intime. Je ne suis pas très “exposant”. (Raymond Depardon, Errances, 2000) 

Ces photographies s'inscrivent dans le cadre d'une démarche d'auteur ouverte sur le monde et non-commerciale.