F(r)ictions

Réduit au non-sens, à la non-connaissance, le monde n’est plus à connaître ou à expliquer. Il est là pour qu’on en fasse l’expérience non plus comme une image (une représentation réaliste illusoire) ou comme une expression (un sentiment vague) de ce que nous pensions qu’il était, mais comme une réalité nouvellement inventée, nouvellement découverte. Une vraie réalité fictive. (Raymond Federman, Surfiction, 1975)

Le réel est une fiction toujours vraisemblable malgré son impermanence. Quant aux photographies qui en résultent, leur sensible discordance confine parfois à la confusion ! Ce n'est qu'une apparence, l'apparence du mouvant et du multiple, du divers ("la Divine Variété visible", selon Valéry Larbaud). Si une séquence photographique raconte bien quelque chose, c’est par le montage qu’elle le fait. Apparaît alors l’idée d’une forme narrative spécifique à la photographie. En effet, la boîte à outils du "montage par attractions" permet en créant du lien entre les images du divers, de convertir cette mosaïque d'éléments disparates en une forme d'expérience et de répondre ainsi au désir de narration et de sublimation par la métaphore ou l'analogie. "Les photographies disposées de la sorte sont rendues à un contexte d’expérience. Les apparences articulent alors le langage d’une vie vécue. Devant les photographies, nous sommes chez nous parmi les apparences comme nous sommes chez nous dans notre langue maternelle". Usons donc de ces outils d'interaction, de transmission sémantique : accord, réplique, conflit, occurrence, écho, rupture, équivalence, contraste, ... sans oublier un peu de dissonance, de friction ! (citations de John Berger, Une autre façon de raconter, 1981)

Parfois l’épars précède l’entier, les parties d’une chose précèdent la chose. L’apprentissage de l’unité est encore plus humble et incertain qu’on ne le soupçonne. La vérité est aussi peu sûre que sa négation. (Roberto Juarroz, Poésie verticale, 1993)