Port sans départ

L'imaginaire portuaire et ses poétiques constituent un bien psychologique et culturel commun dont le lecteur est appelé à user, pour mieux vivre ses parcours personnels, ou ses escales.
Régis Antoine

Le port est la fenêtre par laquelle on s'est subrepticement introduit et qui permettra peut-être de s'échapper. Cette fenêtre devient quelquefois miroir où, à force de chercher l'image de l'autre, on se découvre soi-même.
Nicasio Perera San Martin

Le port est un lieu d'ancrage imaginaire pour l'esprit. Synonyme de départ et de liberté, il reste, par excellence, le lieu d'élection du rêve et de la contemplation. C'est une porte et une frontière, un passage dans la marge, au bord du monde : ce n'est pas encore la mer, mais ce n'est déjà plus la terre. Entre ces deux parenthèses, le port demeure ce lieu singulier, hésitant, au-delà duquel l'inconnu affleure, indicible. Et le port est déjà cet inconnu, ce « marchepied du rêve ». Même la rude réalité des dockers et des marins, des bars et des naufrages, a cet aspect flottant et indécis, presque métaphysique.

Ceci est encore plus vrai, paradoxalement, pour un port sans départ comme Bordeaux. On ne s'embarque plus pour l'Afrique ou les Antilles, mais tout laisse à penser, à rêver, que le départ est possible, l'embarquement immédiat. L'imaginaire portuaire se nourrit du moindre signe, aussi dérisoire soit-il, aussi abandonné que soit le port. Ainsi peut-il naître une « mythologie du port » à partir d'une coque rouillée, d'une grue bancale, d'un quai désert.

Alors peuvent prendre forme des photographies qui ont toutes la réalité du port de Bordeaux comme nécessaire origine, et se servent de ce postulat comme tremplin vers une poétique portuaire évocatrice. Autrement dit, il s'agit d'une tentative de passage du descriptif (la photo-constat du port de Bordeaux) au suggestif (la photo-symbole du port imaginaire, de tous les ports). Ainsi cette photographie pouvait-elle glisser de son statut de document à celui de support poétique, et le port constituer de la sorte une métaphore de la vie même.

Christian Cazenave
1996

Ma première, ma plus longue escale fut Bordeaux, port de la lune, premier port d'Afrique... Je tentais alors quelques excursions au-delà des colonnes rostrales surplombant les hangars, jusqu'à Bacalan, pour débusquer le réel sans fracasser pour autant la force de mes rêves.
Jean-Claude Lamatabois

Citations extraites de Les quais sont toujours beaux, textes réunis par Régis Antoine et Gérard A. Jaeger, Editions de l’Albaron, 1990
Photographies réalisées à Bordeaux de décembre 1994 à mars 1996.