Sur les pas d'Emmanuel Bove

Bécon-les-Bruyères est publié en avant-première dans la revue Europe en mai 1927. Le mois suivant, cette monographie tout aussi ironique que poétique d’un no man’s land de la banlieue parisienne paraît chez Emile-Paul Frères, dans la collection « Portraits de France ». L’époque étant à la découverte, nombre d’éditeurs publient des récifs de voyages. Emmanuel Bove, avec son incongru Bécon-les-Bruyères, se détachait une fois de plus du littérairement correct.

A propos du choix de Bove, le critique Charles Merki écrira : « Il semble bien en effet qu’il y ait là une gageure, car l’endroit n’a aucun intérêt ni au point de vue historique, ni au point de vue pittoresque, si l’on s’en rapporte du moins au texte de l’auteur. C’est une localité quelconque des environs de Paris, où il y a des rues, des maisons, et c’est tout. Ecrire même une simple plaquette sur un sujet aussi insignifiant est un véritable tour de force et nous trouvons que M. Emmanuel Bove s’en est très agréablement tiré. »

A l’automne 1926, fuyant les interviews et les dîners en ville, Bove franchit la porte de Champerret pour aller s’installer dans la banlieue voisine, qui lui inspirera l’un de ses plus beaux textes. Ce lieu qui n’existe que par le nom de sa gare est Bécon-les-Bruyères. Le temps d’un hiver et d’un printemps, l’écrivain habitera au 16 de la rue Madiraa, côté Courbevoie. Quand les frères Emile-Paul lui demandent un récit de voyage, Bove tout naturellement descend en bas de chez lui. Il relève les moindres détails, chronomètre ses déplacements, questionne les objets avec l’attention d’un archéologue, une palissade devenant un artefact à travers lequel il lit l’existence passée. A l’instar de l’entomologiste qui soulève la pierre dans l’espoir de découvrir un univers grouillant, Bove tente de trouver un indice de vie à Bécon-les-Bruyères. La ville entière semble être tombée en léthargie, enlisée dans le quotidien, figée dans l’attente.

Au contraire des romans précédents de Bove, il n’y a pas de personnages dans Bécon-les-Bruyères, sinon la ville elle-même. Dans l’une de ses rares interviews, Bove expliquera le voyage comme un support nécessaire à la création littéraire : « Je pense bientôt faire un voyage. Où ? Qu’importe. Et si je dois rapporter un livre, je crois que le but du voyage importe moins encore à mon lecteur qu’à moi-même. Car le livre que je voudrais écrire, c’est moins le journal du voyage que le journal du voyageur. Moins la peinture des pays traversés qu’un état de dépaysement. »

J’invite aujourd’hui le lecteur à refaire le voyage entre la gare Saint-Lazare et celle de Bécon-les-Bruyères, qui n’a pas disparu comme le supposait Bove à la fin de son récit. La distance entre les deux gares reste la même, il y a toujours un café plus fréquenté que l’autre, et lorsqu’on sort de la gare de Bécon-les-Bruyères, on a effectivement la sensation que le ciel penche vers Paris.

Jean-Luc Bitton
septembre 2008
extraits de “De Bécon-les-Bruyères à Monaco”, préface à la nouvelle de Bove (Editions Cent Pages, collection Cosaques, 2009)

Photographies réalisées en juin et septembre 2016, avril 2019, juin 2021 et octobre 2022.

Le voyage n'est pas cher
Au Café de l'Univers
Que de naufrages dans vos bières
Habitants de Bécon-les-Bruyères.
Jean-Claude Vannier : "Habitants de Bécon-les-Bruyères" (1976)


Emmanuel Bove, circa 1920.