Un éternel été

On fit comme toujours un voyage au loin, de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi.
Victor Segalen (Les Immémoriaux, 1907)

Il se souvient d'avoir été ce garçon rêveur et solitaire qu'on (dis)qualifiait ainsi : timide et taciturne. "Renfermé" concluait la surenchère. Il se souvient de ses vacances en Ariège chaque été de son enfance. Fabuleuse "vacance" en effet que celle de l'esprit d'un enfant libéré des contraintes éducative et sociale. Sortir enfin dehors, s'extraire des remugles du renfermement.

Dans ce modeste et magique triangle dont les pointes ont pour noms Villeneuve, Argein et Aucazein, cet enfant aura expérimenté et vécu l'alliage du temps et de l'espace, de l'aventure et de la liberté. Pour ce voyage dans l'été ariègeois, j'ai donc remis mes pas dans ceux de cet enfant et arpenté la topographie de ces lieux pour une remise en mémoire. Et tout en cheminant m'est apparue l'idée que cette géographie intime pouvait devenir une sorte de modeste viatique à l'usage de passagers aspirant à déceler "le lieu et la formule".

Il en est résulté ces photos de vacances aux teintes surrannées, aux couleurs passées. On pourra y rencontrer plusieurs vaches, les herbages et les ombrages, quelques ruines, l'épaule de la colline, des meules de foin, des trouées de lumière, des machines et des arbustes dépareillés, les festons du soleil, la maison voisine, une barrière contre le ciel, le village derrière la haie. Un été pour l'éternité.

Christian Cazenave
1996

Sur les pentes du Pic de Moussau, été 1963 (photo : Marcel Cazenave)

A chaque pas lent / hors des pas hors du paysage / on tire à chaque pas trop lent / hors de soi toute l'image / pour aller vers le souvenir / voyageur qui recule en avant /  sans bouger de l'énorme instant / dont chaque pas à chaque pas nous sépare.
Ludovic Janvier (Entre jour et sommeil, 1992)


Au monde, il n'a jamais fait aussi beau que dans mes étés d'enfance et dans ce jardin. Jamais - et je sais que je ne guérirai pas de ces saisons lumineuses. Peu m'importe : je suis là, avec une acuité telle que, plus tard, je n'aurai jamais aussi pleinement, définitivement l'impression d'être quelque part.
André Hardellet (Donnez-moi le temps, 1973)

Le temps passait avec une extrême lenteur, comme le temps doit passer, avec des journées qui traînaient, longues, spacieuses, libres comme les étés de l'enfance. J'avais enfin assez de temps pour ne rien faire, ou à peu près rien.
Edward Abbey (Désert solitaire, 1968)

Ainsi il me semble que c'est tout le temps l'été quand je me rappelle mon enfance. Je peux sentir l'herbe autour de moi -elle arrive à ma hauteur-, la chaleur qui monte de la terre, la poussière du sentier et la lumière verdie qui filtre entre les noisetiers.
George Orwell (Un peu d'air frais, 1939)

L'enchevêtrement touffu des herbes folles et des chardons brûle en crépitant dans le feu de l'après-midi. La sieste paresseuse du jardin bourdonne du vacarme des mouches. Les chaumes dorés hurlent au soleil comme une nuée de sauterelles rousses, les grillons s'égosillent dans la pluie ruisselante du feu, les siliques pleines de graines explosent discrètement avec un bruit de cigales.
Bruno Schulz (Les boutiques de cannelle, 1933)

Tous les étés étaient le même été. Notre vie était identique chaque mois d'août. En été il n'y avait pas de passé, ni de futur ;  seulement le présent, et ce présent se projetait sur le reste de la vie comme un royaume ancien se projette sur les civilisations qui lui succèdent. Un présent solaire, méditerranéen, classique.
Jose Carlos Llop (Solstice, 2016)

C'est ici, dans ce décor, que j'ai vécu les moments de ma vie sauvage, libre, presque dangereuse. Une liberté de mouvement, de pensée et d'émotion que je n'ai plus jamais connue ensuite. Cette vie de liberté totale, je l'aurai sans doute rêvée plutôt que vécue. Alors les jours d'Ojoga étaient devenus mon trésor, le passé lumineux que je ne pouvais pas perdre.
Jean-Marie-Gustave Le Clézio (L'Africain, 2004)

Photographies réalisées dans le Couserans ariègeois lors des étés 1995 et 1996.