Le regard intérieur

Éternels passagers de nous-mêmes, il n'est pas d'autre paysage que ce que nous sommes. Quelles mains pourrais-je tendre, et vers quel univers ? Car l'univers n'est pas à moi, c'est moi qui suis l'univers.
Fernando Pessoa (Le livre de l'intranquillité, 1988)

La solitude est l’état ordinaire de l’homme intérieur, un silence que rien ne vient affecter. On peut bien sûr participer à la vie de la cité, à ces rassemblements festifs où la joie est de rigueur, la superficialité de mise. Pour cela il vaut mieux être gai, positif et performant, conforme à l’image séductrice – et réductrice – véhiculée par les médias, la publicité, et finalement, par tout le monde.

Une société qui glorifie ainsi le paraître au détriment de l’être ne peut que nier ou rejeter l’état de solitude. Il peut sembler utile de revaloriser cet état – qu’il soit exil ou intériorité – ne serait-ce que pour cette raison : la solitude est la preuve de l’individualité, de l’intégrité de la personne, en marge du code social. Elle nous révèle la part cachée de l’être, nous rend sensible la zone d’ombre originelle de chaque vie.

Solitude et isolement sont trop souvent assimilés. Toujours se dire que si l’isolement est dû à l’environnement social et, à ce titre, doit se combattre, la solitude, elle, a sa raison d’être que le solitaire ignore. Il s’agit alors de transformer ce handicap en avantage, l’avantage du solitaire sur l’isolé. Car le solitaire n’est jamais seul, il habite la solitude, il est relié à lui-même.

La solitude est un outil de connaissance de soi, un moyen de se reconnaitre si on accepte l’image de soi qu’elle nous renvoie. La solitude est un miroir qui ne ment pas.

La solitude n’est pas triste. Certes elle est grave. Et elle est grave parce que dure, brillante et précieuse comme le diamant appelé solitaire.

Solitaires, votre solitude est « socialement incorrecte » ? Revendiquez-la pour ce qu’elle vous procure : jouir de sa vérité dans un corps et une âme accordés. Il s’agit bien sûr ici d’une solitude résolue, acceptée et intégrée à soi.

La solitude est précieuse à celui qui l’a assimilée comme l’irréductible noyau de son être-au-monde. Elle est alors une force, une force de résistance à l’érosion de la bêtise ordinaire et du mensonge habituel.

Entrez en résistance, apprivoisez la solitude, elle n’est pas le monstre qu’on veut nous faire croire, elle est cet exil étoilé au firmament de soi.

Christian Cazenave
1996