La Nuit Arborifère

Dans les forêts de notre enfance, on avait peur du loup, surtout la nuit, les branches des arbres agrippaient Blanche-Neige dans sa fuite et le Petit Poucet semait des cailloux blancs pour retrouver son chemin. Comme il était doux alors d’avoir peur par procuration bien au chaud dans son lit ! Il s’agissait pourtant de conjurer ses frayeurs afin de s’en libérer et de pouvoir grandir, car tel était aussi le but pédagogique de ces contes. Et si nous savons aujourd’hui combien les arbres sont intelligents, cela ne nous délivre pas de cette peur perturbante : une nuit en forêt. En effet, l’homme moderne, habitant des grandes villes coupé de ses racines et d’une vie de plein air, n’a que rarement l’occasion de pouvoir dire comme ce chef indien au gouverneur de Pennsylvanie en 1796 : « Nous aimons la tranquillité ; nous laissons la souris jouer en paix ; quand les bois frémissent sous le vent nous n’avons pas peur ».* Il s’agit là d'une perte de repères et c’est bien ce qu’une nuit en forêt vient malmener. Comme le loup des contes qu’il nous faut apprivoiser, déambulons sans appréhension dans « La nuit arborifère » d’où surgissent, revenus de notre enfance, les silhouettes d’arbres et d’arbustes pourtant familiers, dans une mise en scène nocturne soulignant leur irréelle beauté fantomatique.
(* Pieds nus sur la terre sacrée, 1971)